Pierre Perrin-Chassagne
Des jours de pleine terre
[Première partie, suite, poèmes]
Force de l’ignorance
Petits, on fait les rats, à la fin de l’hiver.
On se hisse dans des tonneaux pour les brosser. Le moisi coupe la gorge et les poignets. On abat des nids au bout des poutres, par tous les temps, au sommet de quelques frênes aussi. Pas de poids, peu de risques ; les petits doigts poussent des ombres d’anges.
Seul le dimanche après-midi lâche l’enfance au grand complet, pour rire son soûl, au pied des falaises.
Là de guingois, l’ignorance sans pitié, grandeur nature, la vie souffle la violence. On tue pour des riens que la haine attise, sans crier gare.
Brutes, brutaux, bravaches, tous petits bourreaux lâchés par les bois et les prés, on aime la force à en mourir. Tendres rapaces pris au piège, roués de coups, démembrés, quelquefois cloués vifs, votre incrédulité, vos tremblements, vos râles ne quittent pas mes veines.
La bonté est une tare que rature la beauté, comme si la mère au nid appelait le saccage.
Mais le partage, des épines dans la tête, comment le rejeter ? Parler peu, rire à la dérobée, demeurer seul de dépit, c’est le bagne. La peur sur les rochers, le souci dans la ferme, la cécité partout aident mal à pousser droit.
Le cœur dans les talons, je brûle sans feu, j’échaude à la ronde. Plaire achève ma déroute. De la cendre dans les yeux, je recrache de la moisson germée.
Tout ce que touchent les amants d’habitude est béni ; à mes mains, trop petites, tout reste interdit.
Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, [en ligne, 2018]